Alexandre

Article : Alexandre
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3 mai 2017

Alexandre

Intriguée, je me suis levée pour regarder par la fenêtre, j’aperçus alors Alexandre :

– Qu’est-ce que je fais de toi, je te prends ou je te jette ?’

Je n’en croyais pas mes oreilles, c’était quoi cette question ? Pour qui se prenait-il ? Je devais paraître désespérée pour qu’il me parle ainsi. Pourtant, je ne sais plus très bien ce que j’ai répondu et nous avons continué à nous voir.

J’ai rencontré Alexandre dans le bureau de Benoit, un ami commun. Il était métis, grand, légèrement chauve. Il avait de petits yeux noirs et un léger sourire, presque timide, qui jamais ne se transformait en sourire franc. Je le trouvais beau. Il était beau. Alexandre était aisé et jouissait d’un certain statut social; politologue il était reconnu comme expert en géopolitique environnementale et était chroniqueur dans un grand journal de la place. Il me parlait de lui, de son enfance, des pays qu’il avait visités, des femmes qu’il avait connu. A 43ans, il ne croyait pas au mariage et ne voulait pas d’enfant ; il se disait libertin et l’assumait. Je me suis souvent demandé ce que je faisais avec lui, nous étions si différents l’un de l’autre.

Moi, discrète et effacée, je n’avais jamais quitté le pays, je me contentais de faire les choses comme il fallait, sans prendre de risques inutiles. À 30ans je faisais confiance à Dieu pour m’accorder un mari et des enfants. J’avais vécu une vie plus que rangée : pas d’excès, pas d’alcool et pas de sexe avant le mariage. Naïve, célibataire et vierge, je voulais continuer à le voir.

Lui se moquait de ma foi et glorifiait son athéisme. Pourtant il ne faisait rien pour m’influencer, il n’avait rien promis et rien exigé. Mais j’en voulais plus ; il avait quelque chose d’interdit qui m’attirait, son mode de vie, son âge, ses expériences de la vie représentaient une certaine sécurité à mes yeux. Comme un phalène, je me sentais inexorablement attirée par la flamme qui ferait mon malheur.

Benoit me mit en garde ; Alexandre était un chasseur, il aimait les femmes, s’en servait et disparaissait ensuite non sans avoir pris une photo de nue de ses conquêtes, pour sa collection. C’était son rituel pour finaliser une aventure. Ce n’était pas quelqu’un pour moi. Mais toutes ses mises en garde arrivèrent trop tard, je l’avais déjà dans la peau. Je conçus alors une stratégie: « le perdre maintenant pour mieux le retrouver plus tard ». Je me mis à l’éviter et il se lassa. Il n’y avait rien eu entre nous et je comptais sur cet « atout » pour donner me redonner une 2nde chance. J’ai commencé à suivre l’actualité de façon régulière pour rester informée, je me suis mise à l’écriture et j’ai pris des cours de photographie. Je visitais les musées et me cultivais. Je voulais lui prouver que je pouvais être une véritable partenaire de vie. Mais entre-temps, Alexandre disparut. Benoit m’apprit qu’il avait eu la gestion d’un vaste projet de crédits carbone en Afrique et qu’il était parti.

J’avais bien essayé de le contacter mais sans suite. Je me mis alors à vivre dans le souvenir des moments passés ensemble, il visitait mes rêves. Je le voyais dans chacune de mes lectures, je devinais ses opinions sur tel ou tel sujet politique. Je me perdais en lui. J’aimais cette maladie qu’il était devenu et cet état dépressif dans lequel j’étais plongée.

Si Dieu m’avait donné un homme, je n’en serais pas là. Je n’aurais pas eu de pensées honteuses seule dans mon lit la nuit, je ne me serais pas sentie coupable après le vol de plaisirs solitaires inavoués. Je Lui avais donné ma vie et Il n’en avait rien fait, alors je la lui reprenais. J’ai commencé à sortir la nuit, à boire et à fumer, à m’habiller pour attirer les regards, à voler de bras en bras, de lit en lit. Mais je n’oubliais pas Alexandre. Un rien me ramenait à lui, un sourire, une voix, un parfum. Je n’étais pas guérie.

2 ans plus tard, à la sortie d’un concert je tombai sur lui. Il avait perdu du poids et s’était coupé les cheveux mais il n’avait pas perdu son sourire. Nous nous sommes revu le lendemain après-midi et j’étais fière de moi. J’avais de l’assurance, de la conversation, je savais des choses et je lisais de l’admiration dans ses yeux. Mes efforts intellectuels n’avaient pas été vains, j’étais récompensée.

La lumière du flash m’éblouit. Sur l’écran numérique qu’il me présente je regarde la dernière prise. Je me trouve belle, là, nue dans ses draps, je souris. Alexandre aussi trouve la photo réussie. Il a l’air satisfait. Il m’embrasse. Je ferme les yeux. Je pense à Benoit.

J’ai été sélectionnée par Mondoblog grâce à cette Nouvelle écrite en 2009

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